L'homme qui voulait naviguer

La gravure. (chapitre 2)

A présent il revoyait, mais comme s’il en était spectateur, des scènes de son enfance et d’abord celle-là même qui était la source de tout ce qui l’avait conduit là où il était.

Il se tenait, petit garçon en culottes courtes au fond de ce couloir obscur et silencieux de la demeure familiale à examiner pour la Nième fois cette extraordinaire gravure qui le faisait tant rêver. Était-ce un signe prémonitoire qu’elle représente un naufrage ?

Au premier plan, deux navires empalés sur les brisants se disloquaient sous l’assaut furieux des vagues. C’était tellement suggestif qu’il lui semblait entendre le hurlement du vent, le craquement sinistre des coques de bois et des mâts qui se brisent, le claquement des voiles réduites en lambeaux, les cris des marins en détresse. Ceux qui étaient tombés à la mer tournaient vers le ciel des regards suppliants et de leurs mains tendues semblaient implorer la miséricorde divine. C’était très théâtral mais cependant poignant.

Plus loin, sur le rivage, des guerriers armés de lances, vêtus de pagnes et coiffés de plumes couraient vers le lieu de la catastrophe. Pourquoi se dépêchaient-ils tant, qu’allaient-ils faire, attaquer les naufragés, leur porter secours? Willy restait là de longs moments à imaginer la suite de l’histoire et aussi à se demander comment cette scène si effrayante pouvait avoir pour décor un lieu si extraordinairement calme et paisible: une île montagneuse et boisée  dont les  sommets se perdaient  dans les nuages et sur laquelle la vie se déroulait comme si de rien n’était. A quelques mètres seulement de la mer en furie, près de leurs cases aux toits pointus, des femmes aux seins nus et ronds comme des fruits vaquaient tranquillement à leurs occupations domestiques. A l'orée du village des enfants jouaient avec un petit cochon tout noir. Plus surprenant encore: malgré la tempête, le vent paraissait ne pas souffler sur la terre ferme: les hauts palmiers qui ressemblaient à des plumeaux géants émergeaient droits comme  des  chandelles  d’une  végétation  paradisiaque,  luxuriante et fleurie.

 

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