LOGOENTETE

Namarou.

 

« Tu m’emmènes ?

-  Pas cette fois, tu es encore trop petit ! »

C’était comme un rituel : tous les jours la même question et aussi la même réponse. L’homme avait chaque fois le même sourire attendri, il effleurait les cheveux noirs et bouclés de l’enfant, puis avec ses deux compagnons poussait la pirogue dans l’eau.

Namarou n’insistait pas, il savait que l’homme avait raison mais il espérait tout de même qu’un jour il dirait oui. Maintenant, assis sur ses talons, il observait la pirogue s’éloigner vers la passe qui écumait au loin. Encore quelques coups de pagaie et elle bondirait sur la vague, puis, arrivée en haute mer disparaîtrait de sa vue.

Comme les autres jours, il resta encore un moment les yeux rivés sur cette frange blanche, toujours changeante et qui renaissait sans cesse dans un lointain grondement. Pour lui elle restait la mystérieuse limite du monde.

«Namarou, tu viens chasser le crabe ? » Les voix joyeuse le firent sursauter et il prit soudain conscience du concert d’invites criées à tue-tête : «Namarou ! Namarou viens jouer ! » Il oublia momentanément son rêve d’aller au large et se hâta de rejoindre le groupe d’enfants.

Les interminables et chaudes journées commençaient toujours de cette manière. Elles se passaient ensuite à nager dans l’eau transparente du lagon, à courir sur le sable, à pêcher des crustacés et des coquillages, à inventer mille jeux.

 Namarou participait à tout cela avec entrain, mais lorsque les pirogues rentraient avec la marée montante, il quittait ses compagnons pour aider les pêcheurs à tirer les embarcations au sec. Il y mettait tout son cœur et toutes ses forces, il était convaincu d’être indispensable. Les hommes s’en amusaient et le laissaient faire. Parfois, en guise de récompense, ils lui donnaient un poisson aux écailles dorées, en lui disant : «Tiens, prends-le, il est comme toi, pas bien gros mais costaud. Plus tard tu feras comme nous, tu en attraperas de plus grands toi-même ! »

Les jours de chance en effet, il arrivait qu’ils reviennent avec un espadon, une raie ou un requin de bonne taille qui suffisait à nourrir tout le monde.

Les pêcheurs rentrés au village avec leurs prises, Namarou s’attardait près des embarcations. C’était un moment qui n’appartenait qu’à lui seul. Le bois foncé et brillant dans lequel étaient taillées les pirogues ressemblait à s’y méprendre au cuir du mammifère marin qui un jour, lorsqu’il était encore tout petit, s’était échoué sur la plage. Namarou pourtant s’en souvenait très bien. L’animal au long corps fuselé, avait dans un premier temps, désespérément tenté de retourner dans la vague qui tout près de lui clapotait et qui semblait dire dans un murmure : «Viens, viens, je t’attends, viens, je t'emmènerai dans la magie de mes bleus infinis. »

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