La louve.

 

Au troisième jour de leur chevauchée ils parvinrent en lisière de cette forêt au sujet de laquelle couraient tant de rumeurs inquiétantes que la plupart des voyageurs préféraient la contourner au prix d’un grand détour.

Mais Jouffroy qui n’avait cure des racontars n’hésita pas à s’y engager. Il progressait bon train au pas puissant de son destrier et Thibaut son écuyer caracolait à ses cotés. Au bout de sa longe la mule suivait modestement.

Il faisait très beau et après la chaleur torride de la plaine, la fraîcheur des bois était une vraie bénédiction. Le soleil mettait des éclats d’émeraude sur les feuillages. D'innombrables oiseaux pépiaient dans les frondaisons. Bref la vie était belle et légère.

Vers le soir les deux hommes cherchèrent un endroit où bivouaquer. Ils le découvrirent sans trop de peine à quelques pas du chemin : une clairière protégée des regards par un rideau de broussailles. Elle était bordée par un ruisseau et tapissée d’herbe drue et tendre.

Thibaut se mit en quête de bois mort puis alluma un feu. La soirée s’annonçait agréable : il faisait encore bon bien que l’humidité commençait à se faire sentir. Le feu crépitait joyeusement et leur hôte de la veille, le seigneur d’Aiguemont leur avait donné assez de provisions pour faire un véritable festin.

« Nous avons plus de victuailles qu’il ne faut, commenta Jouffroy la bouche pleine, cet homme nous a vraiment gâté.

- Sans doute est-ce parce que mon père et lui se connaissent depuis longtemps. Ils ont souvent été compagnons d’armes.

- Oui, assurément, il a voulu faire honneur au fils de son ami, il n’y a pas d’autre raison, sinon sans doute qu’il soit généreux de nature.  Mais dis-moi, je t’ai tantôt laissé donner libre cours à ton plaisir de volter à hue et à dia, mais souviens-toi du proverbe : « Qui veut aller loin ...

- …ménage sa monture ».

- Exactement. Tâche de t’en souvenir.

- Je m’en souviendrai. »

Le repas se poursuivit en silence.

 Lorsqu’ils eurent apaisé leur faim les deux hommes remercièrent le ciel par une courte action de grâce puis accomplirent les tâches qu’ils s’étaient eux-mêmes dévolues : Thibaut rinça les écuelles à la rivière et Jouffroy alla entraver les chevaux et la mule.

Mais de retour auprès du feu, Thibaut qui d’ordinaire était d’humeur joyeuse, resta assis, silencieux, le regard perdu dans les flammes.

« Y a-t-il quelque chose qui te chagrine et que tu n’oses me dire ? demanda le chevalier au bout d’un moment

- Pardonnez-moi, messire Jouffroy mais je ne peux m’empêcher de penser à tout ce que les gens racontent à propos de la forêt où nous sommes.

- Qu’elle est une sorte de labyrinthe où ceux qui s’y aventurent sont condamnés à errer jusqu’à la fin des temps, qu’elle est peuplée d’esprits malfaisants et d’êtres surnaturels ?

- Oui.

- Fadaises que cela ! Vois-tu, il fut un temps où des hommes d’armes, des mercenaires sans emploi y avaient établi leur camp. Pour subvenir à leurs besoins ils brigandaient dans les parages, rançonnaient les imprudents qui voyageaient sans escorte et le plus souvent les tuaient. Plus personne bien entendu ne les revoyait. Certains pensent que laissés sans sépultures et sans sacrements, leurs âmes hantent encore ces lieux et qu’elles réclament vengeance.

- Vous y croyez ?

- Non, assurément. S’il en était ainsi je ne me serais pas aventuré ici. Quant aux êtres fabuleux, ils n’existent plus depuis longtemps, il ne reste que des animaux ordinaires : cerfs, sangliers, loups et peut-être quelques ours qui se gardent bien de croiser la route des hommes.

 

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